Louis Radius, 40 ans, est athlète de haut niveau et professeur de sport. Il est adhérent à l’Orange bleue de Dinard depuis 2018. Il revient tout juste des Jeux Paralympiques de Tokyo où il a fini 7ème sur sa discipline fétiche : le 1500 mètres, distance sur laquelle il a été médaillé de bronze en 2016 aux Jeux de Rio. Il nous accorde quelques instants pour nous parler de son handicap, de ses expériences sportives et son rapport avec l’Orange bleue.
Peux-tu nous parler de ton handicap ?
J’ai une hémiplégie (paralysie d’une partie du corps, ndlr.) de naissance du côté gauche avec un léger problème de motricité. Cela se traduit par des spasmes. Je ne sens pas non plus ni le froid ni le chaud du côté gauche. Enfin, j’ai une conduite de bras diminuée.
Comment est venu cet amour pour la course à pied ?
Je fais du sport depuis l’âge de 4 ans. J’ai commencé par le tennis et la danse classique car je voulais devenir danseur professionnel. J’ai ensuite pratiqué du football américain. Quand j’avais 13 ans, mon meilleur ami habitait à 5 kilomètres de chez moi et je n’avais pas de moyens de locomotion. J’y allais donc à pied, puis petit à petit j’y allais en courant. Mon ami me chronomètrait, il me lançait quelques défis et j’améliorais souvent mon temps pour venir chez lui. En observant cela, ma mère a décidé de m’inscrire dans le club d’athlétisme de ma ville en 1996. Pour être honnête, je n’étais pas le plus doué. J’ai eu la chance d’avoir 2 champions dans ma catégorie : le champion de France du 800 mètres ainsi que la championne de France du 10 kilomètres sur route. J’ai été bercé très vite dans le haut niveau et j’ai été bien entouré.
Nous avons observé que tu courais aussi avec les valides, peux-tu nous en dire un peu plus ?
Oui, j’ai fait 90% de mes compétitions en “valide”. Nous sommes tous des athlètes à part entière, que nous ayons un handicap ou non. Je fais partie des meilleurs crossmen français, toute ma saison est planifiée autour des compétitions valides. Par exemple, en ce moment, je cours actuellement sur route. Entre janvier et mars ce sera du cross-country, pour finir sur de la piste. Les 10% restants sont des compétitions de sélection, avec, par exemple, les sélections pour les championnats du monde 2022 à Kobe au Japon. Les compétitions valides me permettent de rester au niveau tout au long de l’année. Il m’arrive même de faire des podiums dans les compétitions valides !
Qu’est-ce qui te motive chaque jour ?
Il y a deux motivations. La première, c’est d’être à l’extérieur. Il n’y a aucune limite, pas de murs qui te bloquent. D’être en communion avec la nature, sur les voies vertes par exemple. Le fait d’être seul à pratiquer, cela permet beaucoup d’introspection. La deuxième motivation, c’est que le sport fait partie intégrante de mon projet de vie. C’est un élément de bien-être, de sport santé. Cela me permet de garder un physique correct et de garder de la mobilité. Le plus important, c’est la passion, le fait que tu puisses courir à n’importe quel moment de la journée. C’est le seul sport qui permet cette autonomie.
As-tu parfois des envies de stopper ? Si cela arrive, comment retrouves-tu l’envie ?
Oui, il y a des phases compliquées pour tout athlète. Des moments de doute lors des blessures, on s’interroge, on prend du poids souvent. Des reprises compliquées après une blessure. Il faut savoir qu’après un arrêt d’une semaine, le niveau initial est récupéré en trois semaines de pratique. On multiplie ce temps par trois généralement. Actuellement, je suis en phase de reprise et c’est compliqué pour être honnête, mais on s’accroche.
Ce qui me motive c’est de garder un poids stable, de me tonifier mais aussi de garder un esprit sain.
Es-tu passé par des phases de longues blessures au cours de ta carrière ?
Oui, surtout des entorses liées à la course. De septembre 2017 à avril 2018, j’ai eu une blessure au niveau du dos mais il s’est avéré que c’était une blessure psychologique plus qu’autre chose, liée au travail. C’est le seul gros problème rencontré au cours de ma carrière donc je m’estime chanceux de ce point de vue.
Pratiques-tu d’autres sports que la course ?
Je couple l’athlétisme avec du vélo, de la proprioception et de la musculation au sein de l’Orange bleue. Je recherche un endroit où je peux rencontrer du monde car je m’entraine seul. Je rencontre des seniors, des personnes préparant des échéances par exemple. J’ai eu cette chance de rencontrer Arnaud, le responsable de la salle de Dinard qui met à disposition ses équipements. Je fais 2 séances de musculation par semaine.
Quelle fut ta première expérience paralympique et quel souvenir en gardes-tu ?
Je suis actuellement à mes troisièmes Jeux paralympiques. J’ai participé à ceux de Pékin sur 1500 mètres et 5000 mètres, en 2008. J’ai fait Rio, en 2016, où j’ai obtenu une médaille de bronze, et Tokyo où je termine 7ème sur 1500 mètres. Entre-temps, j’ai eu des titres européens et mondiaux. Ce que je retiens, au final, c’est la longévité à haut niveau, et cela fait 15 ans que je suis là. Durer aussi longtemps,ça fait plaisir car ça traduit une bonne préparation et un bon entourage au quotidien. J’ai 10 personnes qui m’accompagnent durant mes saisons.
Quelle est ta plus grande fierté quand tu penses à ta carrière sportive ?
Quand on prend du recul, le plaisir est dans le fait de prendre conscience que tu es dans les meilleurs coureurs français. Nous sommes 70 Millions de français, 7000 sportifs de haut niveau inscrits hors sports professionnels, nous étions 584 athlètes qualifiés aux Jeux, on a décroché 70 médailles dont 4 bretonnes et j’en fais partie. C’est à ce moment-là qu’on se rend compte de l’exploit et c’est une grande fierté. J’ai été fier de représenter la France dans les Jeux, c’est comparable à une coupe du monde de football. On peut considérer cela comme le plus grand aboutissement dans une carrière de sportif. Il y a rien au dessus.
Est-ce que tu trouves que la vision des jeux paralympiques s’améliore d’année en année ? Notamment du point de vue médiatique ?
J’ai trouvé que l’édition de Pékin était très bien organisée. Ensuite, à Londres, les Anglais ont mis les moyens pour faire rayonner les Jeux Paralympiques avec des spots de publicité et le relai avec France Télévisions. Rio en 2016 était encore mieux car nous avions eu 170 heures de retransmission sur France Télévisions. A Tokyo j’ai senti un moins car il y avait moins d’heures sur France Télévisions mais le relai était partagé avec l’Équipe 21. J’aimerais que les Français prennent les Jeux de 2024 en leur possession. J’ai deux inquiétudes : le prix des places et la communication sur les Jeux Paralympiques qui entraînent une méconnaissance du handicap.
As-tu les prochains JO de Paris en ligne de mire ?
C’est trop tôt pour le dire, je prendrai la décision entre Mars 2022 et Juin 2022. Il faut que je fasse un point avec mon corps mais aussi avec mes partenaires. Entre-temps, il y a les championnats du monde au Japon en 2022, les championnats du monde à Paris en 2023, et les championnats d’Europe en 2024, avant les JO.
J’ai l’envie de le faire car c’est en France, à la maison, tu cours devant ton public, tu peux inviter ton entourage, pas de décalage horaire. Après, je suis humain et je ne souhaite pas faire la saison de trop. Si je ne le sens pas, je ne me forcerai pas, je préfère rester sur une bonne note.
Quel serait ton rêve sportif aujourd’hui ?
L’objectif est de regagner une médaille. Donc finir sur les Jeux de Paris avec une médaille serait parfait. Pour l’instant, c’est plutôt de renouer avec les performances de Rio.
Dans la fédération, tu as un rôle de grand frère auprès des jeunes de l’équipe d’athlétisme. Qu’est-ce que cela t’inspire ?
Il y a beaucoup de jeunes prometteurs, nous aurons une belle équipe en 2024. La sélection va s’élargir car les moyens alloués seront plus importants en raison des frais logistiques moindres que sur les Olympiades à l’étranger. Le souhait est de rayonner sur toutes les disciplines. En Handisport, un jeune peut arriver très vite au haut niveau donc je suis assez optimiste. On fait tout pour les accompagner.
L’athlétisme est un sport individuel mais ressent-on tout de même la notion d’équipe au sein de l’équipe de France ?
Oui. Mais c’est vrai qu’entre moi et un athlète de 20 ans, parfois, on a du mal à se comprendre. Il y a toujours cette envie de partage et de travail à haut niveau.
Quelle est justement la différence principale entre ta génération et celle des jeunes athlètes d’aujourd’hui ?
Je dirais que la nôtre est passionnée par le sport, on a ce double projet études et sport ou vie professionnelle et sport. La jeune génération est plutôt une génération de zapping, de consommation, on ressent moins la passion et moins de conscience dans leurs actions. C’est vraiment dommage à ce niveau là mais il faut reconnaître qu’ils sont plus doués aujourd’hui que nous l’étions à leur âge. Ils savent se former très tôt et ils montent en puissance très rapidement.
Quelle est la relation entre le Comité Olympique et le Comité Paralympique en France ?
Il y a deux comités aujourd’hui mais nous formerons une seule et même équipe de France à Paris en 2024. Le CPSF (Comité Paralympique et Sportif Français) se construit petit à petit et se développe. Le Comité Olympique et le CPSF ont des intérêts communs sur des missions telles que l’insertion professionnelle, la formation ou encore la socialisation. Ce sont deux organismes différents.
Combien de fois t’entraînes-tu par semaine au club de Dinard ?
Je m’entraîne deux fois par semaine à l’Orange bleue de Dinard. Sinon, je m’entraîne seul car mon coach est en Île-de-France, mon préparateur physique est à Nantes. Il faut savoir que j’ai un diplôme en musculation donc je peux m’entraîner seul en toute sécurité lorsque je suis en salle.
Pourquoi t’être tourné vers l’Orange bleue ?
Je connaissais l’enseigne et le fonctionnement. Je suis allé voir Arnaud, le gérant du club, pour échanger sur mon projet autour des JO 2020 de Tokyo et il m’a très bien accueilli. C’est pratique d’être à l’Orange bleue, surtout quand je suis en déplacement car je peux trouver une salle pour m’entraîner.
Penses-tu déjà à l’après-carrière ?
Oui, j’ai toujours combiné études et sport. Je suis toujours en étude car je m’adapte à ma pratique de haut niveau donc je suis actuellement étudiant et je prépare des diplômes. J’ai quelques projets en tête.